Dans le département de la Mayenne peu marqué par l’immigration que va éclater, fin janvier 1974, un conflit social ne concernant que des ouvriers étrangers, et dont le retentissement débordera les frontières de la Mayenne, avant de s’ancrer dans les mémoires sous les appellations « L’affaire des Turcs de Louverné » ou encore « La grève pour la dignité ». Retracer l’histoire d’un conflit, même très sectorisé comme celui que connut Louverné en cet hiver 1974, s’avère toujours compliqué à entreprendre, parce que les récits qui nous restent sont ceux des acteurs qui surent parler, qui disposaient du monopole de la narration légitime, professionnels bien souvent du « cadrage » des litiges, parce qu’aussi, les acteurs étant nombreux, le conflit est toujours moins restreint qu’il n’y parait de prime abord, et sa dramaturgie semble se jouer sur plusieurs scènes en même temps, parce qu’enfin un conflit n’est jamais seulement social mais également symbolique, et que le déroulé des faits s’inscrit toujours dans des éléments de langage, des effets de mémoire et de représentations. Notre ambition est ici double : d’abord, comprendre comment s’est réalisée l’opération de soutien à la cause que portaient les ouvriers étrangers, analyser les logiques de coagulation qui ont permis au conflit de recevoir le renfort de véritables entrepreneurs locaux en construction des mécontentements ; ensuite, interpréter ces soutiens en termes de modalités d’accueil des étrangers. Nous faisons ici l’hypothèse que l’aide apportée à un mouvement social dont la particularité est d’être initié par des ouvriers étrangers ne relève pas seulement d’une lecture classique des rapports de force dans le champ social et politique, mais aussi d’une approche qui saisit la dimension éthique du répertoire d’action collective, l’enregistrant comme modalité pratique de l’hospitalité.